Monica Bellucci : “J’ai un homme dans ma vie”

Pour la deuxième fois, elle sera la maîtresse de cérémonie à Cannes. A 52 ans, elle est devenue la plus française des Italiennes Ses courbes font tourner les têtes depuis trente ans. Mais son arme de séduction fatale reste avant tout sa façon d’être. Jamais un mot plus haut que l’autre, et une douceur qui ne l’empêche pas de dire ce qu’elle pense. Monica est née star comme d’autres naissent brunes ou blondes. D’elle, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, dit que c’est « une femme-monde ». De celles qu’on rêve d’avoir pour ouvrir les festivités… La comédienne avait accepté en 2003. Elle a encore dit oui pour cette 70e édition qui se tiendra du 17 au 28 mai. Pour ses textes, la belle Italienne a demandé l’aide de l’humoriste Alex Lutz. Mais pour la magie du charme, elle n’a besoin de personne.
Elle a l’art d’attirer la lumière même lorsqu’elle cherche à se fondre dans le décor. « J’ai été très regardée, dans ma vie, mais je ne suis pas sûre d’avoir été vue », confie-t-elle pourtant. Emir Kusturica, deux fois Palme d’or, a tout compris de Monica Bellucci. Il l’a dirigée et joue à ses côtés dans « On the Milky Road » (sortie le 12 juillet), une histoire d’amour à la fois poétique et violente. Tout ce que Monica aime. «Je voulais démontrer qu’elle pouvait pleurer, exprimer ouvertement des émotions, chose qu’elle ne fait pas souvent dans ses films», dit le réalisateur serbe. Cantatrice dans la série «Mozart in the Jungle», la comédienne est aussi au casting de la saison 3 de «Twin Peaks”, de David Lynch. Naturelle ou sophistiquée, la cinquantaine ne lui fait pas peur.
“Dans mes amours comme dans mes films, je n’ai jamais eu peur de prendre des”
Elle a gagné sa place parmi les plus belles femmes du monde. Mais féline, Monica l’est surtout quand il s’agit d’élever ses filles, Deva, 12 ans, et Léonie, 6 ans. Une vraie mère louve qui balade sa meute entre Paris, où elle vit la plupart du temps, Rome, son attache italienne, et Lisbonne où elle aimerait passer plus de temps. Une éducation cosmopolite pour deux petites qui parlent déjà cinq langues. « J’espère surtout être en mesure de leur donner la confiance qui vient de l’intérieur, ce sentiment d’amour qui vous donne de la force dans la vie. »
“Il y a mille manières d’être féminine : la sensualité est liée à l’énergie, pas à l’âge”
Monica Bellucci “La France m’a fait découvrir une autre manière d’être féminine, plus subtile”
Paris Match. Pour la deuxième fois, vous avez été choisie comme maîtresse de cérémonie du Festival de Cannes. La première fois, c’était en 2003…
Monica Bellucci. Oui, et je n’avais pas su apprécier ce moment. Lorsque je me suis retrouvée sur scène face au public cannois, j’ai ressenti plus d’angoisse que de plaisir. Cette foisci, j’ai envie de m’amuser et de vivre l’instant pleinement. Je dois tellement à Cannes ! Sans ce festival, mon parcours n’aurait pas été le même. En 2002, le film pour lequel je montais les marches, “Irréversible”, de Gaspar Noé, avait provoqué un véritable scandale ; aujourd’hui, c’est un film culte… J’adore le cinéma. Je fais partie des personnes qui pensent que certains films peuvent changer notre destin en nous donnant des réponses là où l’on n’en avait pas.
A quels films faites-vous référence ?
“Des gens comme les autres”, de Robert Redford, et “American Beauty”, de Sam Mendes, qui, chacun à leur manière, traitent de la folie ordinaire.
La folie est un sujet qui semble toujours vous fasciner. Vous est-il déjà arrivé, ne serait-ce qu’un instant, de perdre la tête au point d’avoir envie de tuer quelqu’un ?
Non, ça jamais ! Pourtant, que ce soit dans mes amours ou au cinéma, je n’ai jamais eu peur de prendre des risques ! Cela dit, je peux très bien comprendre que l’on dérape, mais ce genre de folie est dicté par la peur. Il y a une maxime que j’aime beaucoup : “Les fous sont les gens qui ont tout perdu, sauf la raison.”
Moi qui vous prenais pour une femme dangereuse !
Je ne sais pas si je suis une femme raisonnable mais, en tout cas, je ne suis pas une femme dangereuse ! On se cache tous beaucoup de choses pour survivre. Je me dis toujours que rien n’arrive par accident. On ne peut évoluer vraiment qu’à travers des crises personnelles.
C’est ce qui s’est passé après votre divorce d’avec Vincent Cassel ?
Oui. A ce moment-là, j’étais complètement perdue. Tout ce que j’avais construit avait volé en éclats du jour au lendemain. Après une relation de presque vingt ans, je devais reconstruire ma vie. Ce n’était pas évident. C’est dans cet état d’âme que je me suis embarquée dans l’aventure d’“On the Milky Road”, d’Emir Kusturica, qui a duré quatre ans. Pour que la vie soit douce, pour survivre tout court, pour ne pas souffrir, on peut occulter certaines choses et ne voir que les belles, jusqu’au jouroù l’on réalise qu’on est entouré, jusque dans son intimité, de personnes qui ne sont pas forcément bénéfiques pour vous.
Qu’est-ce que vous avez fait ?
Le tri. On peut faire un long parcours avec quelqu’un et s’apercevoir un jour que ce n’est plus possible et qu’il est temps que chacun reprenne sa route. Ma force de survie est toujours plus forte que la destruction. Le réveil, pour moi, a été très douloureux mais magnifique.
Vous qui avez tellement les pieds sur terre, pourquoi vous a- t-il fallu si longtemps pour réaliser qu’il était temps de changer de vie ?
Je ne suis pas un ordinateur ! Je fais généralement confiance à mon instinct, mais je peux me tromper. C’est notre fragilité et notre abandon dans l’amour et l’amitié qui font de nous des êtres humains. Je m’étais mise en veilleuse, comme si mon système de défense avait été anesthésié pendant des années. Je ne rejette la faute sur personne, mais tout à coup je me suis mise à douter de moi. Quand on a été brûlée, pardonner est la seule façon de guérir. Je suis tout à fait consciente d’être très gâtée par la vie, mais, dans mon coeur, je suis comme tout le monde.
Vous dites souvent que vous vous méfiez des hommes. C’est parce qu’ils ont essayé d’abuser de vous ?
Je n’ai jamais subi d’attaques physiques, mais est-ce que j’ai subi de la violence sourde ? Ça, oui. La compétition saine entre deux personnes peut être très productive, mais elle peut aussi être sournoise.
Vous maîtrisez parfaitement votre image et donnez aux autres exactement ce qu’ils attendent de vous. Pas plus.
J’essaie toujours de me regarder avec une certaine distance et de ne pas me confondre avec ce que je fais. Je me suis souvent demandé ce qui motivait les gens au point de vouloir devenir célèbres, mais je n’ai pas trouvé la réponse. Ni pour moi ni pour les autres. Ce que je sais, en revanche, c’est que, lorsqu’on est actrice, en plus de soi-même, on est aussi porteuse de son art et c’est cela même qui nous rend fragiles. Mais où est la limite ? De merveilleuses actrices comme Romy Schneider, Jean Seberg ou Marilyn nous ont montré à quel point il est difficile de faire cette séparation.
Dans “On the Milky Road”, de même que dans la série américaine “Mozart in the Jungle”, où vous jouez une chanteuse d’opéra, vous n’êtes plus seulement cette beauté éblouissante qui déchire l’écran. Il se dégage de vous quelque chose de beaucoup plus subtil, de plus touchant…
“Je suis la fille que j’ai été et que je ne suis plus.” C’est une de mes répliques dans le film de Kusturica… J’ai 52 ans. Je suis tout à fait consciente de ne plus avoir le physique que j’avais dans mes premiers films. Je suis une autre femme. La beauté nous protège mais on peut aussi avoir, à un moment, envie de la casser. Aller vers la vieillesse et la mort, je vous mentirais si je vous disais que cela me fait plaisir. Mais j’essaie de négocier ce virage avec intelligence. La vieillesse n’est pas une fin en soi. Les signes du temps ne me dérangent pas.
Même chez les hommes ?
Quand j’étais plus jeune, j’étais très sensible au physique. Je sortais toujours avec des hommes de mon âge, beaux de préférence. Aujourd’hui, je trouve qu’un homme qui a des rides est plus intéressant, les signes du temps sur son visage et sur son corps me plaisent. Car ce qui le rend sexy, c’est son vécu. A travers les froissements du corps, on voit mieux l’âme. Ce qui justement me plaît dans le film de Kusturica, c’est qu’il raconte l’histoire d’amour de deux personnes qui ne sont plus très jeunes.
Comment, à 52 ans, vivez-vous votre sensualité ?
J’ai toujours traité mon corps avec une grande liberté, en faisant très tôt de lui un objet de travail. J’ai eu la chance qu’il inspire les créateurs, que ce soit dans le monde de la mode ou du cinéma. Je viens d’un pays, l’Italie, où la sensualité se respire dans l’air, où les corps parlent sans paroles. La France m’a fait découvrir une autre manière d’être féminine, plus subtile. J’ai compris que l’amour et la sensualité étaient liés à l’énergie, pas à l’âge.
Y a-t-il un homme dans votre vie, aujourd’hui ?
Oui… Je ne vous en dirai pas plus. J’ai besoin de garder un peu de choses privées pour moi. J’ai déjà été aimée, mais je n’étais pas toujours prête à recevoir cet amour. Pendant longtemps, j’ai trouvé les rapports de force intéressants. Aujourd’hui, je cherche autre chose. J’entre dans une nouvelle phase de ma vie.
Concrètement, cela implique quels changements ?
Au moment de mon divorce, en 2013, le père de mes enfants est resté au Brésil. Moi, j’ai choisi de vivre à Paris. J’ai acheté l’année dernière une maison à Lisbonne et j’aimerais beaucoup m’y installer. Il y a, dans cette ville, un côté à la fois international et provincial qui me plaît. Ce serait formidable pour mes filles, car la vie y est plus douce.
Est-ce que vous élevez vos filles comme vous avez été élevée ?
Si je suis capable d’être une bonne mère, ce que j’espère, et de prodiguer de l’amour à mes enfants, c’est que ma mère m’en a beaucoup donné. Mes parents étaient très jeunes quand je suis née, ma mère avait à peine 20 ans. Comme je l’ai déjà dit, je suis le produit d’un père athée et d’une mère catholique qui croit que l’indiscipline de mes filles vient du fait qu’elles ne sont pas baptisées ! Ceux qui pensent que pour vivre il faut sans cesse créer la polémique et être systématiquement contre les règles risquent d’être toute leur vie des ados attardés. J’ai eu la chance qu’il n’y ait jamais d’interdits chez moi. On me donnait ma liberté. Et si on ne me la donnait pas, je la prenais ! n Photos Riccardo Tinelli/H&K
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