C’est bien ce qu’a dû constater, le lendemain, un jeune habitant du quartier, quand la star, devant se changer dans les ruelles ornées d’azulejos et de tags, se présente spontanément à sa porte pour obtenir l’hospitalité. Il fallait voir ses yeux de Tex Avery pour mesurer combien l’ex-James Bond girl demeure, à 53 ans, un sex-symbol planétaire et un futur objet du désir. « Vous me voyez avec un garçon de 20 ans, même très beau ?, plaisante-t-elle plus tard. Je le regarderais comme un fils… Il faut différencier la pulsion et la manière dont on la gère. Sinon, nous ne sommes que de petits animaux ! Je ne porte aucun jugement moral : l’amour n’a pas de codes… Les jolies jeunes femmes, je ne les envisage jamais comme des rivales, au contraire, j’éprouve pour elles une infinie tendresse. Je pense à mes filles et au long chemin qu’il leur reste à parcourir. »
C’est de Lisbonne que monica Bellucci, prudente sur sa vie privée, confesse être amoureuse : « Il y a deux ans, j’ai passé des vacances au Portugal, je les ai prolongées pour trouver une maison tant l’esprit des lieux m’a séduite. Il y a quelque chose de provincial dans cette ville internationale. Ce qui correspond un peu à ma personnalité de gamine venue d’Ombrie, qui a fait dix fois le tour du monde. Ici, le rapport à l’humain est très simple, jamais artificiel. J’y viendrai quand j’aurai un peu de temps libre, les plages de Cascais sont à vingt minutes, et j’adore tous les petits villages des alentours. Les sept collines, le microclimat, le fleuve… Dans Lisbonne, tout me rappelle Rome, où j’ai aussi une maison et tant d’amis. Je me souviens de la première fois que j’y suis venue, à 16 ans, je me suis dit : c’est ici que cela va se passer pour moi ! » Mille et une vies plus tard, Monica Bellucci a conquis la planète entière.
Dans son sillage, les choses peuvent basculer à tout moment dans une comédie italienne à la Ettore Scola. Ce n’est pas une posture, c’est une allure : il suffit à Monica de vous parler avec son accent légendaire, de bouger ses hanches d’à peine quelques centimètres, pour conférer à n’importe quelle situation un parfum romanesque. Comme quand elle nous fait visiter sa maison, traversant le chantier et le regard des artisans, juchée sur d’immenses talons, moulée dans une robe de créateur.
Cannes, mais dans les gravats ! Et avec pour seules marches celles qui mènent à sa chambre. De son point de vue, tout semble normal, elle ouvre les fenêtres, s’agenouille devant un matériau à vérifier, s’enthousiasme du framboise écrasée des meubles de cuisine, lance l’idée d’un grand dîner à la fin des travaux… Du nôtre, nous sommes médusés, comme transportés à Cinecittà, cherchant Mastroianni dans un coin de la pièce et s’attendant à ce qu’un type hurle en italien : « Coupez ! » Un instant, on est aussi chez Pirandello, dramaturge italien chantre de la mise en abyme.
Après deux jours de dur labeur et de glamour intense, le ventre creux et les photos terminées, il est urgent d’aller déjeuner dans un petit restaurant réservé par l’actrice. Qu’il doit être rigolo de pouvoir dire, comme elle vient de le faire : « Allô, c’est Monica Bellucci, comment tu vas, mon chéri ? » et d’obtenir une table pour douze en terrasse dans la minute ! Ce jour-là, c’est la Saint-Antoine, le saint patron de la ville, une date très populaire où les sardines grillées sont à l’honneur dans les rues de Lisbonne envahies de barbecues de fortune… Mais la belle Italienne veut un carpaccio ! Qu’elle ne touchera pas à la vue de la version locale : une grande assiette de saucisson arrosé d’huile ! Monica nous déculpabilise en grignotant par-ci par-là les douceurs du pays et autres leche alléchants, alors qu’elle nous dit avec un air sibyllin devoir encore « travailler » dans les jours à venir. Message décrypté a posteriori : à Milan, dans les heures qui suivirent notre escapade portugaise, elle a défilé parmi les garçons de Dolce & Gabbana. Avant qu’on ne la retrouve présidente du festival du film de Dinard, dans la série « Dix pour cent » en septembre et à l’affiche d’un film aux côtés du mythique Ben Kingsley
Paris, au Royal Monceau, quelques jours après notre aventure portugaise. Dans le confort moelleux du palace parisien, l’actrice, qui vient de signer un contrat avec Nivea pour une ligne anti-âge, évoque son rapport au temps : « J’aime beaucoup cette marque que je connais depuis l’enfance et qui fait partie d’une tradition pour la plupart d’entre nous. Que Nivea m’ait choisie prouve son respect pour la femme à n’importe quel âge. Vieillir ne me fait pas peur, car c’est une manière de vivre plus longtemps, une façon de ne pas mourir ! L’âge n’est pas une maladie ni la fin de quoi que ce soit, c’est simplement la continuité d’une féminité qui s’exprime différemment. » Paroles, paroles ? On insiste un peu pour savoir, honnêtement, comment un sex-symbol absolu vit les matins où la mine est triste devant son miroir, où les ans ont commis leur part d’outrages ? « Finalement, le temps qui passe va me permettre d’avoir accès à des rôles qui ne seront pas forcément liés à la beauté. » Une raison suffisante pour renoncer à la chirurgie ? Réponse de l’intéressée, hilarante quand elle mime, au milieu du lobby, un lifting en tirant son visage vers l’arrière : « Je n’ai rien contre la chirurgie esthétique si cela permet de se sentir mieux. Aujourd’hui, je fais la maligne, mais peut-être que, dans dix ans, vous viendrez m’interviewer et me reconnaîtrez à peine ! ».
Monica prévient alors que ses filles (Deva et Léonie, 13 et 8 ans, dont le père est Vincent Cassel) vont la rejoindre incessamment sous peu pour le déjeuner. Ce qui fait basculer notre conversation : « Je veille à ce que ma vie publique ne rejaillisse pas sur mes filles. Mais je ne parle pas de mes choix artistiques, je reste une actrice libre… De toute façon, ensemble, on n’évoque jamais mes films, elles ont à peine vu “Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre” ! On parle d’elles, pas de moi. Je veux pouvoir me dire que je ferai peut-être plein d’erreurs, mais que j’aurai fait de mon mieux. L’amour, c’est la clé de tout : un enfant qui a été aimé a déjà la réponse à son pourquoi sur terre. » L’amour, son grand sujet : « Aujourd’hui, j’ai envie de douceur, de paix. Mais une autre partie de moi est encore passionnelle, sulfureuse. Sinon, c’est la mort ! Disons que, avec le temps, je prends de la distance… Le feu est encore là, mais il peut peut-être brûler ailleurs. Je pourrais m’enflammer pour un film ou pour un homme comme à 20 ans, mais encore faut-il tomber sur le bon scénario ! » conclut-elle avec le sourire.
Avant qu’une ombre étrange et presque métaphysique gagne son visage, son regard, sa voix. « J’ai une part sombre, mais j’ai eu la chance de la vivre à travers le cinéma sinon je n’aurais pas tourné “Irréversible”, “La Passion du Christ” ou “Maléna”. J’aime beaucoup cette phrase de Platon qui dit quelque chose comme : “Sois gentil avec n’importe quelle personne que tu rencontres, elle est en train de mener une bataille très dure… contre elle-même.” Personne ne peut faire l’économie de cette aventure intérieure, mais, que voulez-vous, même si j’aime autant les nuits que les jours, je me sens viscéralement attirée par la lumière. » Qui le lui rend bien en s’accrochant à son visage dès qu’elle apparaît quelque part. On appelle ça une star.